Si tu n’avais pas remarqué, la bière de l’heure de l’année de l’histoire, c’est la IPA. J’ai observé l’ascension du style ces dix dernières années et j’estime qu’au moins une bière de microbrasserie sur deux bues au Québec (ou du moins, à Sherbrooke) est une IPA. J’ai aussi constaté la panoplie d’adjectifs qui ont été collés à cet acronyme qui, aujourd’hui, signifie tout simplement « y’a vraiment, vraiment beaucoup de houblon dans cette bière ».
Si tu es comme la grosse majorité des gens qui aiment la bière de microbrasserie sans en faire une profession, un hobby, ou une religion, peut-être que la plupart des termes qui se retrouvent à droite ou à gauche des lettres I.P.A. te laissent un peu perplexe.
Le but de mon article est de t’aider à comprendre les IPAs d’aujourd’hui pour t’aider à trouver ce que tu préfères, à déchiffrer leurs étiquettes et à savoir à quoi t’attendre.
En lisant ce qui suit, garde toujours en tête que dans le monde de la bière, aucune appellation n’est contrôlée. La plupart des brasseurs respectent les conventions, mais, parfois, même ces conventions sont discutables, floues, défiées, déconstruites, ou tout simplement tellement nouvelles qu’elles sont en train d’être définies. Pour trouver le profil aromatique qu’une variété de houblon devrait avoir, je te conseille de consulter HopList, tellement il en existe.
IPA « américaine »
Je commence avec un terme généraliste, borderline ambigu parce que techniquement, la quasi-totalité des IPA sur le marché sont d’influence américaine. À la base, ça veut dire que des ingrédients américains – surtout le houblon! – sont utilisés. Les variétés de houblon américains sont extrêmement aromatiques; tu as sûrement déjà vu les termes Citra, Simcoe, Amarillo, Chinook, Centennial, Cascade, et j’en passe, toutes très fruitées. En réalité, aujourd’hui, IPA américaine veut presque toujours dire « cette IPA n’est PAS une NEIPA » (retiens ça pour plus tard).
Caractéristiques principales de l’IPA américaine : Assez amère, arômes d’agrumes, de fruits tropicaux, de conifères, ou une ingénieuse combinaison de tout ça. C’est le résultat de ce qu’on appelle le houblonnage à froid (ou Dry Hop, voir glossaire à la fin). Après avoir fait bouillir une partie du houblon pour amériser la bière, le houblonnage à froid consiste à en ajouter une énorme quantité après la fermentation pour que l’alcool puisse dissoudre les huiles aromatiques contenues dans la fleur de houblon.
Là où ça se complique : les malts utilisés peuvent varier énormément. Certaines sont très pâles, laissant toute la place au houblon; d’autres ont en plus un arrière-plan malté, parfois même caramélisé. Une autre caractéristique qui varie d’un brasseur et d’une recette à l’autre est le sucre résiduel : est-elle est sèche ou sucrée? C’est le genre d’informations que tu peux demander à ton conseiller avant d’acheter.
New England IPA
C’est la mode, popularisée au Québec par nul autre que Boréale en 2017. Aujourd’hui, certaines brasseries se spécialisent dans ce style qui est de loin le type d’IPA le plus populaire.
Note : Puisque c’est assez récent, aucune nomenclature officielle n’existe (ni n’existera, à mon avis). Les synonymes sont abondants: NEIPA, IPA du Nord-Est, North East IPA, IPA côte Est, Hazy IPA, Juicy IPA, Vermont IPA… Certains diront qu’il existe des nuances entre ces dénominations; d’un brasseur à l’autre, la définition exacte varie, mais pour les besoins de cet article introductif, on peut toutes les mettre dans la même boîte de « gros jus trouble fruité peu amer ».
Caractéristiques principales : Peu amère, extrêmement voilée (voire opaque), elle donne l’impression de voir, sentir et boire un jus de fruits tropicaux fraîchement pressés. C’est (entre autres) le résultat de l’ajout d’une quantité abominable de houblons pendant la fermentation. Les NEIPA sont généralement plus sucrées que les IPA américaines, mais certains brasseurs (meilleur exemple : L’Hermite) les préfèrent bien sèches et créent donc une texture moelleuse pour qu’elles demeurent douces en bouche. Lorsque bien exécutées, ce sont les bières sans fruit les plus fruitées qui existent, mais la catégorie la plus accessible pour t’introduire aux saveurs du houblon, parce que l’amertume est généralement basse ou bien masquée.
Là où ça se complique : Certaines NEIPA sont tellement houblonnées qu’elles en sont râpeuses dans la gorge; on appelle cette sensation piquante en gorge la brûlure du houblon et on l’aime ou on ne l’aime pas. De plus, ce style est tellement populaire que presque toutes les brasseries s’y essaient; peu s’entendent sur la bonne façon de créer le profil-type et plusieurs références différentes existent. Explore les brasseries pour trouver les NEIPA qui répondent le mieux à tes attentes et tes goûts, ou questionne nos conseiller.e.s!
West Coast
Plusieurs brasseurs utilisent l’appelation West Coast pour faire référence aux premières IPA américaines, popularisées en Californie dans les années 80, et pour les distinguer notamment des NEIPA. Plusieurs avec la mention IPA américaine ressemblent en fait beaucoup à une West Coast. Ça peut être mélangeant, mais comme peu de brasseurs se spécialisent dans ce style, c’est assez facile d’en dégager les grandes lignes. Mention honorable à La Fabrique et au Castor qui l’exécutent à merveille.
Caractéristiques principales : Elles sont amères, voire très amères, avec un bon arrière-goût. Elles sont assez fruitées au nez, souvent vers les agrumes, mais tu y retrouveras souvent aussi un côté conifère ou même de fruits confits. En bouche, c’est moyennement malté, mais pas nécessairement caramélisé. Si c’est sucré, ça ne l’est d’habitude pas assez pour atténuer l’amertume. En général, une bonne West coast IPA, ça a de la torque.
IPA Brute / Brut IPA
Une création très récente dont les caractéristiques varient d’un brasseur à l’autre. C’est un genre de retour du balancier après la première vague des NEIPA sucrées et très trouble; on vise complètement l’inverse.
Caractéristiques principales : elles sont toujours très, très sèches. Certains brasseurs vont même jusqu’à ajouter des enzymes qui permettent de rendre encore plus de sucres fermentescibles par les levures. La plupart sont très claires et elles sont souvent peu amères; ce sont les arômes du houblon qui sont mises de l’avant. Certains brasseurs les gazéifient davantage, parce que Brut évoque notamment les vins mousseux.
Session IPA
Caractéristiques principales : l’adjectif Session signifie simplement « taux d’alcool plus bas », souvent entre 3 % et 4,5 %. Attends-toi presque toujours à une bière sèche (très peu sucrée) et souvent à une texture relativement mince. Aromatiquement, elles adoptent les mêmes profils que les IPA américaines, ou même les NEIPA, si c’est mentionné sur la canette.
Double IPA
Un peu comme session, le terme double signifie « plus fort en alcool que normalement ».
Caractéristiques principales : Elles titrent généralement au moins 7,5 % d’alcool et sont souvent « plus toute » : plus houblonnées, plus sucrées, plus amères, plus alcoolisées.
Là où ça se complique : Double IPA est un terme qui existe depuis les années ’90. Dans la version originale (qui existe encore aujourd’hui), on parle d’une IPA américaine puissante, maltée, très amère, mais aussi très sucrée et même souvent caramélisée. Depuis l’avènement des NEIPA, on retrouve aussi des double NEIPA, qui sont bel et bien ce qu’elles suggèrent : des gros jus fruités à 8 % d’alcool plutôt que 6 ou 7 %; elles ne sont cependant pas nécessairement plus sucrées que leur petite soeur, la NE IPA.
Note : Le terme IPA Impériale, bien qu’il soit considéré comme un autre vieux synonyme de double IPA, encadre plus souvent qu’autrement les versions plus caramélisées. Le terme Triple IPA est, quant à lui, très récent, et s’inscrit dans la vague trouble des NE IPA; elles titrent entre 10 et 11,9 % d’alcool et sont généralement très sucrées et chaleureuses, en plus d’être fruitées.
IPA Anglaise
Une espèce rare! Ce qui est triste, parce que si tu ne connaissais pas l’histoire, la IPA est d’origine anglaise. On peut compter sur les doigts de la main les brasseurs québécois qui tentent de reproduire ce qu’on pense que ça goûtait au 19e siècle. Mention spéciale à Dieu du Ciel qui embouteille encore une fois par année sa Corne du diable.
Caractéristiques principales : plutôt amère et assez maltée, mais on se retrouve dans des arômes beaucoup plus boisés et chaleureux que son interprétation américaine. La raison? Les houblons (et les malts!) anglais sont très différents de ceux des américains. On perçoit souvent un côté fruité, mais il ne domine pas nécessairement (et peut même provenir de la levure utilisée). C’est vraiment une vibe différente, ne t’attends surtout pas à un jus de fruit!
IPA belge, Saison IPA, Brett IPA, Kveik IPA
Une grosse « catégorie » qui enveloppe des IPA mutantes relativement rares, mais très distinctives. Leurs noms viennent de l’utilisation d’une levure aux caractéristiques spéciales, souvent une souche qui produit des arômes très particuliers. C’est une invention moderne et surtout très variable d’une brasserie à l’autre.
Caractéristiques principales : le côté houblonné varie d’une interprétation à l’autre; ce qui unit ces bières, ce sont les arômes parfois fruités (levures trappiste), parfois poivrés (levures saison), parfois assez difficiles à décrire (levures brettanomyces, voir glossaire ci-bas) qui se mêlent aux arômes du houblon. De plus, attends-toi à une texture plus onctueuse, à très peu de sucres résiduels, et souvent à une gazéification plus élevée que la moyenne.
Kveik, c’est encore plus récent. C’est un jargon norvégien qui veut simplement dire « levure », donc une levure d’origine norvégienne. Pour en savoir plus sur la Kveik (qui n’est en réalité pas vraiment un style de bière, et encore moins un style d’IPA), je t’invite à lire les écrits de Martin Thibault, sommité dans le domaine de l’exploration brassicole.
Milkshake
Quelque part en 2017, un brasseur s’est dit que ça serait une bonne idée d’ajouter du lactose (un sucre que les levures ne savent pas fermenter) et de la vanille à une bière; ainsi naquit la Milkshake IPA qui, longtemps après avoir fait jaser pendant quelques mois, apparaît toujours à l’occasion sur nos tablettes.
Caractéristiques principales : Sucrées. Très sucrées.
IPA [Couleur]
Ce sont ici soit des expérimentations au niveau des ingrédients, soit carrément des croisement de styles, dépendant de l’approche du brasseur ou de la brasseuse. Je n’en ferai pas une liste exhaustive, mais ça devient assez facile à déduire quand on y pense un peu.
La IPA noire est une IPA à laquelle on ajoute de l’orge torréfiée… ou un stout qu’on houblonne comme une IPA, selon la personne qui tient le fourquet. La IPA blanche est une IPA à laquelle on ajoute du blé et qu’on fermente parfois avec les levures aromatiques des bières blanches. La IPA rousse est à mi-chemin entre une rousse (caractère malté très caramélisé) et une IPA (bien houblonnée). Je te laisse déduire les autres possibilités!
Quelques termes plus techniques…
Brettanomyces est un genre de levure distinct des levures à bières conventionnelles (genre Saccharomyces); ses espèces sont capables de produire de l’alcool et du CO2, mais sont surtout reconnues pour leur haute performance de digestion de sucres (produisant des bières très sèches) et pour leur capacité à produire des arômes très particuliers (fruités, fermiers, cuirés, etc.).
Brûlure du houblon : traduction libre de Hop Burn. Sensation causée par un excès de résines de houblon en suspension dans la bière, qu’on retrouve généralement dans les (NE)IPA excessivement houblonnées.
Houblonnage à froid : en anglais dry-hop; ajout de houblon à la bière après la fermentation
DDH : double dry-hop; ne veut pas nécessairement dire 2 fois plus de houblon, mais bien que le houblonnage à froid a été fait en deux temps. Certains s’amusent et/ou exagèrent avec TDH, QDH…
Houblon Cryo : poudre lupuline purifiée par un procédé cryogénique; concentré des molécules d’intérêt que l’on retrouve dans la fleur de houblon, parfois utilisé pour houblonner les bières.
IBU : mesure quantitative (entre 10 et 80 pour la plupart des bières) représentant la concentration de molécules amères (provenant du houblon) dissoutes dans la bière. Ça se veut une approximation du niveau d’amertume de la bière, mais attention: ça peut être trompeur, car une bière sucrée peut masquer l’amertume d’un IBU élevé, une bière très gazée peut augmenter la perception d’amertume, et plusieurs autres facteurs comme ceux-ci ne sont pas pris en compte dans cette mesure.
Whirlpool : technique de houblonnage « en tourbillon » où on ajoute du houblon après l’ébullition du moût, autour de 80˚C, en faisant tourner celui-ci. Permet d’impartir une amertume beaucoup plus douce à la bière que lorsque le houblon est bouilli (méthode traditionnelle d’amérisation de la bière).