Récemment, on est tombés un peu par hasard sur un magnifique poème composé en 1929 par une Comptonoise. Son nom est bien connu des Sherbrookois, quoique peu savent qu’elle était notamment poétesse : Éva Senécal a été immortalisée à Sherbrooke en 1990, deux ans après son décès, quand la ville prêta son nom à notre bibliothèque municipale.
Un poème au titre inspirant…
C’est dans l’Anthologie de la poésie des Cantons-de-l’Est au 20e siècle, qu’un de nos conseillers s’est fait offrir à Noël, que nous avons découvert un magnifique poème intitulé Vent du Nord. L’anthologie a été dénichée par sa soeur dans une vente de garage d’un vieux couple du vieux nord qui se départait d’une gigantesque collection de vieux livres, dont plusieurs étaient des oeuvres d’auteurs régionaux. Issue d’une collaboration entre l’Université de Sherbrooke et l’Université Bishop’s dans le cadre du Congrès des sciences humaines qui y a eu lieu en 1999, cette anthologie bilingue regroupe des poèmes de plusieurs douzaines de poètes et poétesses ayant vécu dans les Cantons-de-l’Est dans les années 1900. Publié par les Éditions Tryptique, ce recueil, unique en son genre, présente un riche et magnifique patrimoine littéraire, à l’image de notre inspirante région.
Le titre du poème, notre situation géographique à proximité de la bibliothèque et l’approche du Mois de la poésie nous ont donné le goût de te partager cette belle composition. On espère que tu y étancheras ta soif de poésie!
Vent du Nord — poème d’Éva Senécal
Le vent du Nord souffle en rafale
Sur les hameaux;
Il bondit, se tord et dévale
Des hauts côteaux.
Il vous mord la face et vous jette
en impromptus,
Les tas de neige qu’il brouette,
Longs et pointus.
Il caracole, il paraît ivre,
De tant tourner,
D’enlacer l’arbre qui se livre,
Abandonné.
Il râle sa funèbre joie,
La fait hurler,
Affolant les êtres qu’il ploie,
Pour les violer.
Sur la plaine, il passe et varlope
Les blancs remous;
Dans les vallons, il s’enveloppe
Jusqu’aux genoux.
Il clame aux heureux de la terre
Un chant fougueux,
Mais un long refrain de misère
Aux pauvres gueux.
Dans leur mansarde, il passe aux fentes
Ses doigts déments,
Avec des râles de Bacchantes
Dans les tourments.
Il est grand, rude, âpre et farouche,
Le vent du Nord;
Il rampe, s’apaise, se couche,
Se dresse et mord.
Près des volets fermés, il rôde,
Chantant, criant,
Plus souple qu’une brise chaude
De l’Orient.
J’aime tes fougues, ta furie,
Ton pas d’infant,
Âpre mistral de ma patrie,
Rude géant.
Je voudrais, à travers l’espace,
Aller un peu,
Confondre avec ton cœur de glace
Mon cœur de feu.
Et je suivrais tes courses folles,
Tes sombres jeux,
Fuyant loin des ivresses molles,
Mains sur les yeux.
(La course dans l’aurore, 1929)
Crédit photo (couverture) : Casas Photographie