Confession d’un conseiller 20 juin 2018

Confession d’un conseiller

Un texte de nos conseillers Jean-Charles et Thomas

Des fois, je trouve que le marché brassicole, ça met une pression assez grande sur les amateurs de bière. Si tu bois pas tout, t’es pas un big shot, t’es pas dans la game, ou tout simplement, tu sens que t’es pas un vrai amateur de bière. C’est peut-être juste dans ma tête, mais parfois, quand tu rentres pour ton shift, et que tu vois les dizaines de nouveautés de la semaine, tu te dis que tu te dois de tout boire, et ça me semble parfois trop, comme si c’était une tâche à accomplir afin de rester le meilleur conseiller possible – et un vrai amateur.

Ça arrive aussi que des fois, je me dis que je bois un peu plus que ce qui est recommandé par Éduc’alcool. Mais en même temps, c’est pas parce que je me saoule chaque soir. Quand je bois, c’est pour le goût, pour les saveurs, et même si ça veut dire que je bois probablement trop, c’est pour une bonne raison, c’est ma passion. J’imagine…

C’est vrai que quand je fais des dégustations d’une vingtaine de bouteilles, ou que je passe une fin de semaine dans un festival de bière, les matins sont plus difficiles, et parfois, ça devient plus une grosse soirée festive qu’une soirée d’appréciation gustative. En fait, ça arrive un peu plus souvent que je me demande si c’est vraiment par passion que je vais dans ces atmosphères-là, ou si c’est plutôt pour l’aspect d’évasion que ça me procure. Après tout, on vante tellement le côté festif et bon vivant du monde de la bière, j’imagine que j’utilise le prétexte de ma passion pour justifier le fait que je prends 6 pintes dans une soirée.

Au fond, quand j’y pense, je me suis réfugié dans ma passion pour la bière à quelques reprises quand je vivais des moments plus roughs, des passes plus difficiles où ça feelait moins. Je me disais que c’était sain, que c’était une distraction comme une autre qui me ferait sentir mieux. C’est un peu comme n’importe quelle passion qu’on a dans la vie : quand ça va moins bien, on devient plus intense dans les sports que l’on aime, dans les lectures et séries télévisées qui nous intéressent; mais pour moi, c’était la bière de microbrasserie. Pour le côté gustatif ou pour le côté évasif? Des fois, la ligne est pas mal mince.

Tout ça pour te dire que même si je te sers toujours avec un sourire au Vent du Nord, ça m’arrive aussi d’être un peu plus down, parce que je suis aussi un être humain, avec toute la vulnérabilité qui vient avec. Et même si la bière c’est plaisant, festif, amical, plein de saveurs, ça peut facilement devenir une échappatoire, et c’est important de rester prudent.
Je l’ai pas tout le temps été, et je pense qu’il faut en être plus conscient.

Un peu de recul…

Récemment, un article de The Morning Advertiser présentait le point de vue de Shaun Hill –fondateur de la brasserie emblématique Hill Farmstead au Vermont— sur la question de la santé mentale dans le milieu brassicole. Selon lui, on adresse trop peu la question, et on passe sous silence les problèmes reliés à l’addiction, ou tout simplement à l’exubérance festive qui caractérise souvent les évènements brassicoles. Dans l’article, Hill déclare que si un festival annonçait une conférence sur les problèmes reliés à l’alcool, cette-dernière serait probablement peu populaire, puisque personne n’ose admettre le lien entre la bière et l’alcoolisme, la dépression, ou autres problèmes de santé mentale. Le brasseur indique qu’il y a un silence qui domine de tels sujets, et nous pensons qu’il est effectivement problématique que la question du bien-être des gens impliqués dans le milieu brassicole ne soit jamais présentée au grand jour, surtout lorsque l’on sait que l’alcool est une substance dépressive, qui vient avec son lot de pression sociale.

La santé mentale en mode festival

On ignore –ou plutôt, on veut ignorer— le fait qu’être impliqué dans le domaine brassicole, c’est souvent sentir qu’on doit tout goûter, qu’on doit tout suivre côté tendance, ou même qu’on doit s’informer de tout ce qui se passe dans le milieu. Qu’on le veuille ou non, c’est un niveau de pression qui peut devenir malsain, et surtout stressant pour plusieurs. Comme indiqué dans la confession ci-haut, on se sent moins adéquat en tant que conseiller, mais aussi en tant qu’amateur. Ceci peut mener à une consommation excessive, mais aussi à rythme de vie dépendant des perpétuelles nouveautés du marché. Ceci ne signifie pas qu’il est mauvais en soi de vouloir explorer les nouvelles créations ou tendances, mais bien qu’il faut parfois prendre un peu de recul, et considérer l’impact que cela a sur nous. Ne pas tout boire, ce n’est pas une faiblesse ou un manque de volonté : on peut-être tout autant intéressé et passionné sans avoir tout goûté.

De plus, le mode de vie du festivalier, celui qui est toujours sur le party, sourire au lèvres, un verre à la main, ayant bu tout ce qui se faisait d’exclusif, c’est parfois un peu trop idéalisé. Combien de fois a-t-on été dans un festival brassicole où la ligne entre dégustation et excès devient floue? Shaun Hill fait le même constat : c’est une attitude qui est insoutenable à long terme, et qui finit par affecter autant la santé physique que mentale. Se lever pour quelques jours de suite avec une gueule de bois, faire passer le tout avec quelques cafés, et recommencer le soir même, c’est difficile pour le système.

Surtout, tous ces petits détails, qui passent souvent sous le bruit des festivités et de la camaraderie du domaine, ce sont des petits signes de dépendance. Pas nécessairement une dépendance nocive –le café du matin, la bière d’après le travail, ce sont des petites dépendances qui rendent la vie plus facile—, mais une dépendance qu’il faut être capable d’admettre. Vers la fin de notre confession, nous abordions le sujet des moments plus difficiles, comme il y en a tant dans l’espace d’une vie : ces moments, il faut éviter de les masquer sous une passion qui a un potentiel toxique. L’alcool, ça peut être délicieux lorsque brassé de la bonne manière, et lorsque consommé en bonne compagnie, mais ça peut aussi devenir un échappatoire. Que l’on prenne 6 pintes de microbrasserie, ou 6 pintes de bières commerciales, le résultat final est le même, surtout lorsque ça devient une habitude.

Une passion controlée

Nous ne sommes pas en train de dire qu’il faut arrêter de boire, que l’on devrait se sentir mal d’aimer la bière, ou même d’avoir une passion. Loin de nous l’idée de te faire la morale. Par contre, nous pensons qu’il faut être capable de se regarder dans le miroir, et de se dire que oui, le monde brassicole, ça peut devenir une pente glissante. Oui, ça arrive des moments où la bière dans le frigo te semble un moyen de rendre tes peines et colères plus douces. Oui, des fois on embrasse un rythme de consommation qui vient troubler notre système et changer nos habitudes.

Dans ces moments-là, il faut juste être capable de prendre 2 ou 3 petits pas en arrière, et de se demander si c’est vraiment
la passion qui nous anime, ou quelque chose d’autre –quelque chose de très humain, mais qu’il faut aussi savoir accepter. Être conscient de sa consommation, et s’assurer, dans les petits détours et tracas de la vie quotidienne, que ta passion ne se transforme pas en une source d’oppression, ou d’oubli, c’est important. Nous avons passé par là, nous avons eu nos peines, nos colères, nos moments d’excès, mais, avec un peu de recul, on constate que c’est important qu’on prenne soin de soi et des autres personnes qui partagent notre passion.

Nous t’aimons, amateur de bière, et nous voulons juste être certain qu’avec le beau temps qui arrive, tu n’oublies pas d’être conscient de ton propre bien-être mental. Tu t’en rappelles sûrement, mais le slogan de Dégustabière, c’est « Calme toi, et déguste ta bière. »

T’en dis quoi qu’on fasse ça, qu’on se calme un peu, et qu’on la déguste notre bière? 

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