Autour d’une « bière de fille » 6 mars 2020

Autour d’une « bière de fille »

Pour souligner la Journée internationale des femmes, on a rassemblé les femmes de notre équipe pour un brin de jasette. Le point de départ de cette discussion, c’était ce concept de « bière de fille », qui laisse flotter dans le monde de la bière et dans la tête de certaines personnes que le quatuor eau-malt-houblon-levure serait genré. Qu’il y aurait, jusque dans ce domaine, une manière de boire comme une femme et une manière de boire en homme.

Discuter « bières de fille »

À l’origine, l’idée, c’était que ce texte soit complètement féminin : le brainstorm, les participantes à l’échange, la rédactrice. Parce qu’on souhaitait parler des femmes, de leur réalité et des enjeux qui les touchent par le biais d’une perspective, d’une sensibilité et d’une voix (ou plutôt d’une plume!) proprement féminines. Mais les délais nous ont fait nous rabattre sur un animateur de discussion et un rédacteur platement masculin, blanc et hétérosexuel (moi!).

A posteriori, on a l’impression que c’est une bonne chose. Ce temps de dialogue à plusieurs voix, qu’on se permet rarement, contribue à mieux se comprendre et à semer la graine d’une sensibilisation plus grande. Et de ce constat est née l’idée de porter un regard croisé (féminin/masculin) sur cette soirée de discussion, de manière à éclairer certaines situations avec autant de perspectives que possible.

On te propose donc deux textes sur ce sujet, comme deux résumés de nos échanges sur la bière de fille avec Julie, Marie, Valérie et Laurie. Tout d’abord, la perspective féminine sur la discussion, écrite par Valérie, conseillère à Rock Forest; puis, la perspective de Simon, responsable des communications, sur la même discussion. Bref, un texte à quatre mains qui tente de parler d’une seule voix!

La perspective de Valérie

La bière, a-t-elle un sexe ? Tu te doutes bien de notre réponse. Le mot bière a un genre, évidemment, comme tous les mots de la langue française. Mais un sexe, une orientation sexuelle ? Non, pas vraiment. Alors pourquoi y attribue-t-on des caractéristiques basées sur le sexe ?

Les femmes et la bière

Instinctivement, les femmes ne sont pas associées à la bière. La conception de la bière n’est pas féminine en soi. Et ce n’est pas un reproche; c’est influencé par l’histoire récente de la bière, ce qui est très ironique, car pendant des millénaires, la bière était produite par les femmes.

Mais le monde évolue. L’histoire change. Dans une industrie très masculine, il y a plein de femmes qui vendent, boivent et produisent de la bière. L’inconscient populaire est perturbé, et c’est correct. Sauf qu’il faut se permettre d’en discuter.

Les termes genrés sont encore là. Le problème, et c’est ce qu’on s’est aperçu en discutant de bière entre filles, c’est que ces termes qui nous font grincer des dents ne font plus de sens. Cette catégorisation qu’on utilise ramène encore une fois à une distinction des genres qui n’a pas sa place et qui est plus souvent qu’autrement démentie. C’est ce qui a dominé notre discussion: les bières de filles, ça n’existe pas. Il existe des genres de bières, mais les bières n’ont pas de genre. Et on pourrait transposer cette réflexion à beaucoup d’autres aspects de la société aujourd’hui.

Je te laisse y penser.

Ces clichés qu’on entend encore en 2020

J’apprécie souvent une bonne bière maltée et foncée. Julie adore les bières noires fortes en alcool et les scotch ales. Marie jure par les bières fortes de Belgique. Laurie s’est découvert un goût pour les bières sures et fruitées. Anne-Sophie aime beaucoup les bières funky aux levures sauvages. Et pourtant, on entend encore très souvent de nos jours :

« Une bière pour ma blonde, tsé une bière de fille. De quoi d’doux, pas fort. Une bière aux fruits? »

« J’veux de la vraie bière. De la bière de gars qui descend ben. »

« Moi, j’aime pas ben ben la bière. J’bois des p’tites bières aux fruits, tsé des bières de fille. »

Ça, ce sont des clichés que tout le monde connaît. Mais ce n’est pas tout! Parfois, ça va un peu plus loin. En tant que conseillère, on se fait parfois demander :

« Est-ce qu’il y a des gars qui travaillent?

Bois-tu de la bière?

Tu t’y connais en bière? »

Que veux-tu vraiment dire ? Aurais-tu posé la même question à un conseiller qui travaille au Vent du Nord?

Notre premier réflexe est souvent de répondre de façon défensive. D’instinct, on le prend personnel, parce que des phrases du genre sous-entendent une remise en question de notre place dans le monde de la bière et de nos capacités. On se dit aussi que ce n’est peut-être qu’un concours de circonstances, de la maladresse ou le produit de l’inconscient populaire, justement.

On s’est donné comme mandat de pousser la réflexion plus loin, d’inciter les gens à se questionner et de les éduquer. Parce qu’au final, la vérité, c’est que n’importe qui peut aimer n’importe quoi. Parce que ce qui est important, c’est d’arriver à dissocier le genre de tout le reste de la personne. Alors, peut-on s’en tenir à catégoriser les bières selon leurs styles, plutôt que selon le genre de la personne qui devrait la boire?

On espère que oui.

La discussion selon Simon

De quossé que c’est, une bière de fille?

Première récrimination de Julie, Marie, Laurie et Valérie autour de la table contre cette expression : le fait qu’elle renvoie à quelque chose d’aussi précis que des « grignotines de milléniaux », des « films de frisées » ou des « vins de gars ».  Leurs habitudes de dégustation démentent bien le stéréotype que les filles ne seraient versées que dans les bières légères aux fruits (c’est ce que tu avais comme idée de bière de fille, non?). Stouts impériaux, pilsners florales, saisons brettées et bières barriquées se classent dans leurs styles favoris, comme ça pourrait être le cas pour n’importe quel amateur ou amatrice de bière. Pour cette raison, elles apprécient la tendance généralisée (hommes comme femmes) à explorer les sures, les décloisonnant du coup de leur étiquette de « bière de filles ».

Une bière de fille, madame?

Et elles ont l’impression que les femmes ont elles aussi repris cette idée en demandant pour elles-mêmes des bières « féminines », souvent en soulignant qu’elles n’aiment pas la bière. Alors qu’est abordé ce sujet, nos quatre conseillères autour de la table s’exclament en disant que ces femmes ont souvent une idée très restreinte de ce qu’est la bière (ses itérations commerciales) et qu’elle voit dans ces affirmations, une invitation à l’initiation aux goûts divers de la bière. Les filles s’accordent pour affirmer que l’effervescence de l’offre créée par les microbrasseries, qui élargit pour plusieurs ce que peut être la bière, ouvre une porte à l’exploration, peu importe le sexe et le style et cette diversité serait à même de modifier cette conception figée d’une bière genrée.

Laurie, celle qui trouve les canettes encore trop souvent ornées de corps de femmes sexé, avoue prendre un plaisir particulier à faire découvrir la bière à une femme qui entre en magasin et qui avoue d’emblée être loin d’une beer geek. Notamment, parce qu’elle a l’impression que, pour une femme, plus rares sont les occasions d’explorer la diversité du monde des bières, notamment peut-être à cause de cette idée reçue qu’une fille, ça boit du vin blanc ou un drink de filles!

Les garçons, vous pouvez aider!

Et maintenant, les gars, oui, je vous parle juste à vous. Même toi, dans le coin avec les lunettes. Attention à certaines formulations qui peuvent paraître inoffensives, qui ne sont sans doute pas mal intentionnées… mais qui peuvent laisser circonspectes nos conseillères, pour le moins. Va relire les exemples plus haut, dans le texte à Valérie. Un truc : poserais-tu ta question à Hugo, Samuel, Nic ou Étienne? Si oui, vas-y fort!

Bref, parfois, les mots, les termes sont porteurs d’histoires, de hiérarchies héritées qu’il peut être intéressant de remettre en question. Quelques petits mots qui, quand on en discute avec des filles allumées qui ont fait leur place dans un monde dominé par les hommes, donnent lieu à une discussion de quelques heures, et ces petits mots de rien deviennent une raison de refaire (un peu) le monde autour d’une bière de fille.

 

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